Mise en contexte avec un exemple fiction
Imaginez-vous, en fin de soirée. Après une chaude et lourde journée d'été, vous avez décidé de sortir vous promener durant une bonne heure, afin de profiter d'une atmosphère redevenue un peu plus supportable. Bon observateur que vous êtes, vous avez pris soin de regarder la température affichée par le thermomètre accroché au mur de votre maison: 23°C. Bien agréable pour une bonne balade! Vous voici donc parti, déambulant dans votre village. Vous marchez le long de la route en profitant du calme. Néanmoins, vous remarquez quelques éclairs espacés à plusieurs kilomètres de vous. Pas étonnant, vu le temps légèrement lourd qui subsiste. Vous levez les yeux au ciel: manifestement, il s'est couvert. Une ou deux gouttes commencent à tomber. Vous décidez dès lors de rebrousser chemin. Même petit, un orage est potentiellement dangereux, vous le savez bien. Alors que vous vous pressez sur le chemin de votre maison, vous remarquez que des rafales de plus en plus insistantes secouent les arbres. Votre interrogation se change en stupeur lorsque vous vous rendez compte qu'en deux ou trois minutes, ces rafales deviennent violentes, puis carrément tempétueuses. Vous voyez une branche maîtresse d'un arbre tomber un peu plus loin devant vous. Vous hâtez le pas, surpris par cette tempête soudaine que la météo n'avait pas annoncé. Vous avez chaud, de plus en plus chaud. Le vent ne parvient pas à vous rafraîchir. L'air est devenu atrocement étouffant. Arrivé chez vous, vous regardez votre thermomètre. Votre stupéfaction ne fait que s'agrandir lorsque vous constatez que celui-ci affiche 38°C. Vous faites un rapide calcul: la température de l'air s'est élevée de 15°C en moins de dix minutes. Dans le même temps, vous consultez votre hygromètre (appareil mesurant l'humidité relative de l'air): l'aiguille s'est complètement effondrée vers des valeurs indiquant une sécheresse importante de l'air. Durant une demi-heure, vous regardez par la fenêtre cette tempête d'air chaud souffler sur votre quartier, toujours sans rien comprendre. Vous n'arrivez pas à vous faire une idée de la cause de ce déchaînement de violence. Alors que vous êtes en pleine réflexion, vous constatez que le vent faiblit rapidement. Vous décidez de sortir pour constater d'éventuels dégâts. La fraîcheur de l'air vous interpelle. Une troisième fois, vous consultez votre thermomètre: 22°C. La hausse spectaculaire des températures a été suivie par un retour tout aussi brutal à la normale.
Les effets du Heat Burst
Cette situation, peu de gens l'ont vécue, mais elle marque par sa brutalité. Le phénomène responsable de cette tempête chaude, somme toute assez rare, porte le nom de Heat Burst, que l'on pourrait traduire par coup de chaleur ou rafale de chaleur en français. Il entraîne ainsi, et de manière simultanée:
1) un brusque réchauffement de l'air à basse altitude. La montée des températures peut être très variable, allant de quelques degrés à 20 ou 30°C dans des cas extrêmes. Cela peut mener à des températures inouïes. Bien que ces fournaises n'aient jamais été validées scientifiquement, certains témoignages semblent indiquer que les Heat Burst sont capables de générer les températures les plus chaudes observées sur Terre! Cela reste néanmoins extrêmement rare. Plus souvent, le Heat Burst se contente d'élever les températures d'une dizaine ou d'une quinzaine de degrés, amenant celles-ci entre 30 et 40°C. Quelques exemples vous seront détaillés plus loin dans cet article.
2) un abaissement de l'humidité relative de l'air, et donc du point de rosée*. En d'autres termes, cela signifie que l'air s'assèche par perte de sa teneur en vapeur d'eau par unité de volume. Cet assèchement peut être d'importance variable, et est plus ou moins directement proportionnel à l'ampleur de l'élévation des températures. Les Heat Bursts les plus extrêmes amènent l'humidité de l'air à des valeurs habituellement rencontrées dans les déserts.
3) une diminution de la pression. Cela est facilement compréhensible dans la mesure où un air chaud est moins dense qu'un air plus frais.
4) une modification du régime des vents en surface, et surtout une augmentation de leur force. Le Heat Burst provoque habituellement des rafales de 80 à 110 km/h, mais certains évènements extrêmes ont engendré des vents destructeurs soufflants jusqu'à 160 km/h.
Ces effets peuvent avoir une durée variable: de quelques minutes à trois ou quatre heures. Une fois ce laps de temps passé, le Heat Burst prend fin et les paramètres évoqués ci-dessus retrouvent les valeurs normales qu'ils avaient avant la survenue de ce phénomène. L'image ci-dessous montre l'évolution des deux premiers paramètres (température et point de rosée) lors de la survenue d'un Heat Burst dans le Dakota du Sud (Etats-Unis) le 3 août 2008.
Source: wunderground.com
Le phénomène débute ici de manière très abrupte peu après 4h00 du matin. La violente hausse des températures (ici exprimées en Fahrenheit) fait passer le mercure de 22,7°C à 37,2°C en l'espace d'une dizaine de minutes. En même temps, la température du point de rosée tombe de 20 à 10°C. Durant la survenue de ces évènements, des rafales de 80 à 100 km/h furent enregistrées. Cela illustre bien la brutalité du Heat Burst.
Quelques exemples de Heat Bursts
22-23 mai 1996 en Oklahoma (USA): élévation de la température de 31 à 39°C en 25 minutes et rafales de vent jusqu'à 150 km/h.
16 juillet 2006 dans le Minnesota (USA): la température monte jusqu'à 40°C avec des vents de 100 km/h.
25 mai 2008 dans le Kansas (USA): en une demi-heure, la température passe de 22 à 33°C. De fortes rafales de vent se produisent.
29 avril 2012 en Seine-et-Marne (France): en quelques minutes, la température s'élève de 14 à 25°C, tandis que de brutales bourrasques atteignent 90 à 115 km/h, provoquant quelques dégâts. De 0h30 à 0h40, l'humidité relative de l'air passe de 65 à 16%.
Plus loin dans le temps, des reports font état de heat bursts d'ampleur surréaliste:
11 juillet 1909 en Oklahoma: à 3h00 du matin, la température s'élève spectaculairement jusqu'à 57°C. Les cultures auraient été désséchées instantanément.
6 juillet 1949 près de Lisbonne: en deux minutes, la température passe de 38 à 66°C.
15 juin 1960 au Texas: un brutal coup de chaleur torride fait passer la température de 21 à 60°C. Des rafales jusqu'à 160 km/h surviennent dans les environs de Waco.
Juin 1967 à Abadan (Iran): sans doute le Heat Burst le plus inouï avec un pic à 87°C ! La presse locale rapporte que des dizaines de personnes auraient été tuées sur le coup et que l'asphalte des routes se serait ramolli sous l'effet de la chaleur.
10 juin 1977 à Antalya (Turquie): la température bondit à 67°C.
Cependant, ces cinq évènements spectaculaires doivent être considérés avec circonspection. Aucune étude scientifique n'est parvenue à démontrer la véracité des faits. Nous ne pouvons dès lors ni les valider, ni les réfuter. Au plus devons-nous admettre qu'il s'est produit cinq heat bursts d'ampleur peu commune dans ces régions.
La violence des changements encourus ne peut s'expliquer par des modifications brutales de la masse d'air en place. La cause est donc extérieure. Autrement dit, ce phénomène a lieu parce que la masse d'air dans laquelle se trouvait la zone impactée avant le Heat Burst est brutalement remplacée par une autre masse d'air plus chaude et plus sèche. Cette masse doit bien provenir quelque part. Et puisqu'elle semble surgir de nulle part sans crier gare, c'est en altitude qu'il faut aller voir pour comprendre les mécanismes de la genèse de ces phénomènes.
Un phénomène qui ne se produit pas dans n'importe quelles circonstances
En plus d'être brutal et parfois spectaculaire, ce phénomène est sournois. Rien n'annonce sa survenue. Néanmoins, et avant que ce phénomène puisse être expliqué, il a été constaté qu'il ne survenait qu'en présence d'une combinaison de plusieurs conditions:
- Les Heat Bursts surviennent souvent la nuit, de préférence au printemps ou en été. Ils peuvent se produire partout dans le monde, mais sont un peu plus fréquents en Amérique du Nord, là où les conditions menant à leur naissance sont plus souvent rencontrées.
- La présence d'orages de grande étendue (MCS) ou plus localisés et puissants (supercellule) en phase de déclin brutal, lorsque les fortes précipitations qui les accompagnent diminuent d'intensité pour enfin ne plus parvenir au sol (bien qu'elles continuent à exister - faiblement toutefois - en altitude). Il est parfois dit que l'affaiblissement de ces orages est tellement rapide qu'ils "s'effondrent" véritablement.
- Bien que ce ne soit pas systématique, les bases nuageuses doivent être élevées par rapport au sol. Le Heat Burst peut aussi survenir sous les enclumes des cumulonimbus, qui se trouvent généralement à plus de 10 km d'altitude.
- La présence d'une couche d'air sec.
- La présence d'une inversion de températures. Il s'agit d'une strate de l'atmosphère où l'air se réchauffe en montant, alors qu'en temps normal, il est censé se refroidir.
- L'air est souvent stable près du sol (mais ce n'est pas vraiment un facteur explicatif).
Image radar des précipitations montrant une partie en déclin d'un MCS et sous laquelle est survenu un Heat Burst le 23 mai 1996 en Oklahoma. Source: NOAA.
Une origine mystérieuse, mais finalement comprise
Le phénomène commence lorsque les précipitations deviennent à ce point faibles suite à la dissipation de l'orage qu'elles ne peuvent plus atteindre le sol. La présence de la couche d'air sec y est pour quelque chose. Les précipitations qui s'y retrouvent, après avoir chuté du nuage orageux, s'évaporent assez rapidement. L'évaporation nécessite une consommation de chaleur dite latente (servant au passage eau --> vapeur), provoquant un brutal refroidissement de la masse d'air environnante. Cette étape est assez similaire à celle initiant la formation des downbursts: l'air refroidi est plus dense que l'air plus doux du voisinage, et descend donc en direction du sol.
Cependant, et là se trouve toute la différence avec les downbursts, il n'y a plus aucune précipitation dans le courant d'air descendant. Cela a toute son importance: une des lois de la physique veut que lorsqu'un gaz est comprimé, il tend à chauffer. Si vous avez déjà fait l'expérience de boucher, avec votre doigt, l'embout d'une pompe à vélo pour empêcher l'air comprimé de sortir, vous aurez constaté qu'il est chaud. C'est exactement ce qu'il se passe avec ce courant d'air descendant: la pression augmentant alors que l'altitude diminue, l'air du Heat Burst subit une compression dite adiabatique et se réchauffe. Dans un downburst classique, la présence des précipitations continue à soustraire de la chaleur à la masse d'air suite à l'évaporation partielle des précipitations, tandis que cette masse descend. Arrivée au sol, sa température n'aura pas fondamentalement changé. Tout est différent dans le cas du Heat Burst: vu qu'il n'y a plus de précipitation dans la couche d'air sec pour maintenir sa température, il se réchauffe librement. Selon l'altitude à laquelle débute ce phénomène, l'air aura donc le temps de se réchauffer plus ou moins fortement, avant qu'il ne vienne frapper le sol à toute vitesse et s'étaler sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés, faisant exploser le thermomètre et la vitesse du vent.
Diagramme (en Anglais) résumant les étapes et le mécanisme de la formation des Heat Bursts. Source: meteorologynews.com
La présence de l'inversion de températures joue un rôle dans la vitesse du vent, qui dépend de la vitesse de chute du courant d'air. Des études ont montré que celle-ci devait être d'au moins 6 mètres par seconde pour pouvoir traverser l'inversion qui toujours joue un rôle de barrière à tout courant.
Cependant, la couche d'air sec ne semble pas être la seule cause à la survenue de ce phénomène. Il semblerait que la présence d'un courant Jet (composé d'air souvent sec lui-même) accélère l'évaporation des précipitations, et donc le refroidissement de l'air. De plus, plusieurs Heat Bursts semblent déroger au schéma dicté ci-dessus. Des phénomènes de ce type ont aussi été observés à l'arrière de MCS en pleine activité. Mais en sachant que l'on retrouve dans cette partie arrière dite stratiforme (voir l'article sur les MCS pour plus d'informations) des conditions ressemblant à celles d'un orage en dissipation (pluies diminuant d'intensité, présence de courants d'air plus sec et enclumes élevées), il est dès lors possible d'y retrouver ces phénomènes. De même, la présence d'orage ne semble pas être une condition absolument nécessaire. Ainsi, le Heat Burst d'avril 2012 en France s'est développé sans une quelconque intervention orageuse. Néanmoins, la configuration météorologique du moment ressemblait fortement à celle qui mène à la formation de ces phénomènes: une petite perturbation donnait de très faibles pluies qui s'évaporaient en altitude. La descente d'air a dès lors pu se mettre en place.
Et en Belgique?
Il n'existe pas de report de Heat Burst, sans doute parce que ces phénomènes sont assez méconnus chez nous (l'auteur de cet article ne les a découvert qu'une semaine avant la rédaction) et que leur ampleur ne semble pas avoir été suffisante pour qu'ils soient pris en compte. Il est ainsi possible que des Heat Bursts soient survenus, sans qu'aucun lien n'ait pu être fait avec la nature du phénomène et les mécanismes qui viennent d'être expliqués. Le cas français doit cependant nous faire penser qu'il est tout à fait possible d'en connaitre chez nous.
* Point de rosée: pour une masse d'air ayant une température donnée X, il s'agit de la température Y toujours inférieure ou égale à X à laquelle la masse d'air de température X, amenée à la température Y, verrait survenir une condensation de la valeur d'eau suite à la saturation de la masse d'air.
Sources
NOAA, Colorado State University, Weather Underground.
Rédigé pour le compte d'Info Météo et de Hydrométéo.